Fabien SCOTTI
Les 26 et 27 septembre 2013, l’Institut Confucius a organisé en collaboration avec l’Unité d’études chinoises du Département d’études est-asiatiques un séminaire et une conférence publique intitulée Calligraphie chinoise : Histoire et état des lieux. Pour cette occasion, nous avons invité quatre calligraphes de renom : Le Prof. HUANG Dun (Académie des Beaux-Arts de Nankin), le Prof. QIU Zhenzhong (Académie des Beaux-Arts de Pékin), le Prof. André Kneib (maître de conférences à l’INALCO) ainsi que la Prof. Sun He (Chinese University of Political Science and Law). Nous avons également pu compter sur les interventions de M. WANG Fei (Université de Genève), lors du séminaire dans un premier temps, puis en tant qu’interprète lors de la conférence publique. Durant ces deux journées, les débats ont été commentés par le Prof. Jean-François Billeter, fondateur de l’Unité des études chinoises, professeur honoraire de l’Université de Genève, et auteur de l’ouvrage de référence « L’art chinois de l’écriture ».
Lors du séminaire du 26 septembre, Qiu Zhenzhong a donné une intervention intitulée Théorie et création dans la calligraphie chinoise contemporaine, qui portait sur l’importance de la relation entre temps et espace dans l’œuvre calligraphique. Huang Dun a discuté de la situation de la recherche en histoire de la calligraphie, et les nombreux champs d’études que comporte cette discipline, de l’histoire du développement de la théorie calligraphique (书法理论发展史), à celle du matériel de calligraphie (书法工具材料史), en passant parl’histoire de la diffusion de la calligraphie chinoise à l’étranger (中国书法对外传播史). Wang Fei a ensuite présenté l’unification de l’écriture régulière sous la dynastie Tang, et l’introduction des épreuves de calligraphie aux examens mandarinaux, par la volonté de l’empereur Tang Taizong (唐太宗). Finalement, Sun He a abordé la thématique des liens entre la culture et l’écriture chinoise, des origines à nos jours. Elle a insisté sur certains aspects sociaux qui entourent l’étude de la calligraphie en Chine aujourd’hui , en commentant la prédominance de la maîtrise technique sur l’érudition qui devrait, selon elle, être la qualité principale du lettré calligraphe.
Lors de la conférence publique du 27 septembre, l’intervention publique de Huang Dun a porté sur le processus d’apprentissage de la calligraphie et l’usage de l’écriture régulière (楷书) dans ce-dernier. Il a par exemple évoqué le fait que l’apprentissage du style calligraphie de Zhi Yong (智永) pouvait faciliter l’apprentissage ultérieur du style de Wang Xianzhi (王献之). Il a ensuite abordé les difficultés que pouvaient amener l’apprentissage du style régulier de Yan Zhenqing et Liu Gongquan dans l’apprentissage d’autres styles calligraphiques. Selon Huang Dun, l’apprentissage du style semi-cursif (xingshu) peut être entravé par le rythme et les caractéristiques propres au style de Yan et de Liu, lorsque ceux-ci ont été assimilés trop tôt par le calligraphe. Il a également dispensé des conseils plus pratiques au sujet du choix du papier, du pinceau et de la taille du tracé des caractères. Plus généralement, Huang Dun prône un apprentissage de la calligraphie ancré dans la tradition, recréant des conditions proches de celles que connaissaient les calligraphes en Chine ancienne.
L’intervention de Qiu Zhenzhong a porté sur le lien entre la calligraphie chinoise et l’art contemporain. Ce dernier a présenté certains de ces travaux qui mêlent calligraphie chinoise traditionnelle et expérimentation artistique contemporaine. Afin de refléter la personnalité de l’artiste qui l’interprète, l’œuvre doit comporter ce que Qiu Zhenzhong appelle le « mouvement intérieur » (内部运动). Grâce à ce mouvement, l’œuvre calligraphique est ainsi expérimentée par le spectateur non plus comme une simple composition visuelle, mais comme une œuvre dynamique dont la lecture s’inscrit à la fois dans le temps et l’espace. Ce concept de « mouvement intérieur » est selon Qiu Zhenzhong parmi les plus difficiles à décrire et analyser. Les changements de directions quasiment imperceptibles d’un trait calligraphique reflètent les subtilités de l’interprétation de l’artiste. Retranscrire verbalement les sentiments qui découlent de l’observation d’une œuvre demeure cependant un défi. En réaction à l’intervention de Qiu Zhenzhong, Jean François Billeter a soulevé la question « Comment un art visuel devient-il un art du mouvement ? ». Selon ce dernier, la lecture d’une œuvre calligraphique s’effectuant en fonction de l’ordre des traits des caractères chinois, le spectateur (ou lecteur) peut percevoir le rythme transmis par l’artiste calligraphe lors de la création de son œuvre. Pour rebondir sur les difficultés d’analyse en calligraphie, Jean-François Billeter a tracé finalement un parallèle avec la musique, dont l’étude des œuvres est aujourd’hui largement répandue et se fait essentiellement sur des points de détails, qui semblent également imperceptibles au premier abord.
En conclusion, les professeurs Huang et Qiu ont réalisé des calligraphies commémoratives de l’évènement afin de permettre au public de percevoir directement et plus sensiblement les subtilités de l’art de l’écriture en Chine.
Cette contribution a été relue par Fei WANG.
Suggestion de citation:
SCOTTI, Fabien (2014). « Calligraphie chinoise : Histoire et état des lieux ». In Blog Scientifique de l’Institut Confucius, Université de Genève. Lien permanent: https://ic.unige.ch/?p=621, consulté le 11/21/2024,