Huaqi LI et Xavier BOUVIER
L’Institut Confucius, en partenariat avec la Haute école de musique de Genève, a accueilli du 8 au 10 avril 2013 un concert et deux conférences autour de la musique des rituels taoïstes de Chine du Nord.
Les musiciens invités étaient pour la plupart issus d’une même famille de prêtres taoïstes laïques, basés dans le village du Haut-Liangyuan, dans le comté de Yanggao, à l’extrémité nord de la province du Shanxi (ouest de Beijing). Le groupe comprenait six musiciens, dirigés par Li Manshan (李满山), né en 1946.
Cet ensemble perpétue une tradition familiale ininterrompue depuis au moins huit générations. En tant que prêtres taoïstes, l’ensemble de la famille Li se rattache à la tradition scripturale de l’Ecole du Joyaux magique (Lingbao Pai 灵宝派),au sein de l’Unité Orthodoxe (Zhengyi 正一) à laquelle la majorité des familles taoïste est rattachée. Les écritures et les rituels de l’Ecole du Joyaux Magique ont pris leur forme actuelle au travers d’une longue période allant du Vème au XIIIème siècle, leurs manifestations possèdent d’importantes variations régionales.
La musique des rituels taoïstes de la Chine du Nord est connue en occident principalement grâce aux recherches de terrain de l’ethnomusicologue Stephen Jones, initiateur de cette tournée1. Le professeur Jones a présenté, lors d’une conférence le lundi 8 avril, le contexte général de la tradition des rituels taoïstes, et l’histoire particulière de l’ensemble de la famille Li.
Selon Stephen Jones, la présence de prêtres laïques dans cette région du Nord de la Chine s’explique par le fait que les villages, isolés géographiquement, n’ont pas un accès facile aux temples taoïstes tenus, dans les villes plus importantes, par des prêtres professionnels. Les officiants de la famille Li sont des paysans ordinaires, rémunérés par leurs pairs pour accomplir des rituels. À travers les aléas de l’histoire moderne de la Chine – parmi lesquels la révolution culturelle qui entraîna une diminution et une mise au secret partielle des pratiques taoïstes – les officiants de la famille Li ont continué à servir leur communauté, célébrant des rituels domestiques, des cérémonies funèbres, ou encore des rituels pour l’accomplissement de vœux ou pour garantir l’harmonie cosmique et sociale.
Les taoïstes de la famille Li jouent des rôles multiples au sein de leur communauté: ils sont consultés pour déterminer les jours et les sites appropriés pour toutes sortes d’actions, célèbrent des rituels, ou animent des fêtes. Ces interventions se regroupent en deux types: les rituels liés aux funérailles et ceux réalisés lors de fêtes du temple. Ils peignent également des cercueils, décorent les autels et confectionnent les papiers calligraphiés utilisées dans la communication avec les Dieux.
Illustrée par des vidéos, et prolongée le lendemain par un film, la conférence de Stephen Jones a permis au public de découvrir l’état des connaissances sur les rituels taoïstes, la pratiques des rites taoïstes au Nord de la Chine, ainsi que les spécificités musicologiques de ces rituels. Il est frappant de constater la vitalité de ces traditions, qui perdurent quand bien même elles ont été amenées à se transformer rapidement dans les dernières décennies. En effet, bien que l’ouverture à l’économie de marché incite la jeune génération à abandonner la pratique des rituels taoïstes pour un travail mieux rémunéré, il n’en demeure pas moins que le vieillissement de la population et les nombreux décès entrainent une forte demande pour ces cérémonies, notamment les rituels funèbres. Par ailleurs Stephen Jones a souligné la capacité d’adaptation des musiciens, qui incorporent les musiques actuelles dans leurs prestations lors de fêtes ou de bals.
Lors du concert du lundi 8 avril au soir, dans la Grande Salle du Conservatoire de Musique de Genève, l’ensemble de la famille Li présentait un condensé de rituels dont la durée normale va de quelques heures à plusieurs jours. Au son de l’orgue à bouche Cheng 笙 , du luth pipa 琵琶, du hautbois guanzi 管子, les processions et hymnes solennels ont alterné avec des pièces davantage conçues pour le divertissement, telles que la séquence de clown «capture du tigre». La dernière pièce, la «course aux cinq quartiers» dans laquelle les protagonistes mesurent symboliquement les constellations en parcourant les cinq points cardinaux (nord, sud, est, ouest et centre) était particulièrement illustrative du rôle symbolique des prêtres taoïstes dans la préservation de l’harmonie cosmique.
Ces deux journées ont été une opportunité rare de découvrir un aspect très peu accessible en occident des traditions chinoises. En complément à des actions plus officielles de promotion de la culture chinoise, ce genre de manifestation permet un contact direct et immédiat avec une tradition rurale vivante.
Cette contribution a été relue par Stephen JONES.
Suggestion de citation:
LI, Huaqi & BOUVIER, Xavier (2014). « Musique des rituels taoïstes de Chine du nord ». In Blog Scientifique de l’Institut Confucius, Université de Genève. Lien permanent: https://ic.unige.ch/?p=339, consulté le 11/21/2024.
[1] Voir en particulier les deux monographies de Stephen Jones : Ritual and Music of North China, 2007 (SOAS musicology series) et In Search of Folk Daoists of North China, 2010.