Le droit pénal face à la criminalité économique et financière en Chine et en Suisse

[:fr]Martina Kunz 

Les 23 et 24 août 2012, l’Institut Confucius a accueilli des juristes chinois et suisses dans le cadre d’un séminaire consacré à la criminalité financière et économique dans les deux pays. À cette occasion, le professeur Xiao Zhonghua, professeur de droit pénal et vice-secrétaire du comité du parti de la Faculté de droit de l’Université Renmin, M. Wang Haiqiao, Maître de conférences à la North China University of Technology et chercheur à l’Université Renmin, et une doctorante du professeur Xiao, Mme Xu Fan, qui est sur le point d’achever une thèse de doctorat traitant de la criminalité financière en Chine, se sont rendus à Genève. Du côté suisse, la vice-doyenne de la Faculté de droit de l’Université de Genève et professeure en droit pénal Ursula Cassani, l’ancien doyen et professeur en droit financier et économique Christian Bovet, un procureur du Canton de Genève, Claudio Mascotto, ainsi que l’auteure de ce compte-rendu, doctorante et assistante en droit international à l’Institut des Hautes Etudes Internationales et du Développement, ont proposé une perspective helvétique.

À la demande de l’Institut Confucius, je présente ici brièvement une synthèse de l’évènement ainsi que quelques points qu’il me paraît intéressant de relever. Comme il s’agit d’un compte rendu « côté suisse », je me concentre sur la perspective que ces deux journées nous apportent sur la Chine.

Dès la préparation du séminaire, et notamment dans la phase de sélection des thématiques à discuter, des différences considérables dans les systèmes et notions juridiques respectifs se sont peu à peu dévoilées. Pour les juristes chinois, l’expression 金融犯罪 (jinróng fànzuì) «crimes financiers» ou «criminalité financière» se réfère à un ensemble d’infractions pénales bien défini aux articles 170 à 200 du Code pénal chinois (CPC), alors que pour les juristes suisses, ce n’est qu’un terme relativement général s’appliquant surtout à des activités criminelles régies par le droit boursier et bancaire, mais qui ne jouit pas d’une définition légale. Par ailleurs, le mot «crime» ne vise que les infractions graves en Suisse, passibles d’une peine privative de liberté de plus de trois ans selon l’article 10 alinéa 2 du Code pénal suisse (CPS), alors que  le terme d’«infraction» permet d’évoquer un sens plus large. En Chine, la notion 犯罪 (fànzuì) est utilisée pour tous les types d’infraction, sans distinction en fonction de leur gravité. Le contenu sémantique des concepts utilisés dépend du système juridique auquel ils appartiennent. Par conséquent, on ne peut pas comparer une partie sans égard au tout, c’est-à-dire qu’il faut toujours considérer les concepts dans leur contexte.

Heureusement, grâce aux efforts d’encadrement constant et de traduction de l’équipe de l’Institut Confucius, les obstacles linguistiques, systémiques et culturels ont pu être franchis, et la rencontre a eu lieu dans de très bonnes conditions. Je présente ici succinctement le contenu des interventions du côté chinois à l’intention des personnes qui n’ont pas pu participer à la rencontre. À noter également que les présentations en chinois ainsi que des traductions françaises sont disponibles dans leur entièreté à la fin de ce compte rendu.

Le professeur Xiao, également vice-directeur du Centre de recherche des sciences juridiques pénales de l’Université Renmin et directeur de l’Unité de recherche en matière de droit pénal financier, a présenté un historique de la législation en matière de droit pénal financier. Celle-ci a véritablement démarré en 1997 avec la révision complète du code pénal chinois (datant de 1979), et a ensuite encore été complétée et ajustée lors des huit amendements du code pénal qui ont suivi. Le professeur a expliqué les différentes techniques législatives adoptées, et les opinions divergentes quant à ces choix, avant de passer à un bref état des lieux de la justice pénale en matière financière et aux difficultés les plus saillantes du système dans le contexte de la mondialisation des marchés financiers à l’ère du net. Il a terminé en faisant part de ses réflexions au sujet des succès et défaillances de la Chine en matière de lutte contre la criminalité financière tout en présentant des pistes d’amélioration de celle-là aux niveaux de l’économie, de l’administration publique et du droit. [Texte original en chinois. Traduction française.]

Mme Xu Fan, doctorante du professeur Xiao, a poursuivi en développant les caractéristiques concrètes ainsi que les tendances actuelles de la criminalité financière en Chine. Elle a présenté les enjeux que posent l’augmentation drastique du nombre des cas et des montants impliqués, ainsi que l’utilisation de plus en plus répandue des nouvelles technologies telles que l’informatique et les réseaux. Elle a ensuite relevé les problèmes de complicité entre des personnes travaillant dans des institutions financières et des criminels à l’extérieur de celles-ci, la prévalence toujours prépondérante des infractions en rapport avec des cartes bancaires et des récoltes de fonds illégales, alors que les faux dans les titres financiers et le blanchiment d’argent gagnent également en importance. Les activités croissantes des criminels étrangers en Chine semblent être en lien avec une tendance générale à l’internationalisation de la criminalité financière. Mme Xu a souligné que ces développements constituent un défi majeur pour la justice pénale chinoise vu le caractère complexe et très technique des méthodes utilisées par les criminels, ce qui requiert un haut degré de spécialisation des enquêteurs. [Texte original en chinois. Traduction française.]

Le professeur Wang, pour sa part, a mis l’accent sur le lien entre l’informatisation du secteur financier et la criminalité financière. Il a attiré d’emblée l’attention sur le fait que l’établissement de la société de l’information est une stratégie nationale du gouvernement chinois et que la criminalité qui l’accompagne actuellement ne doit pas constituer un frein à ce développement, malgré les dégâts importants qu’elle cause. Il a présenté l’évolution des stratégies gouvernementales et du processus d’informatisation de la finance en Chine ainsi que les types d’activités criminelles correspondantes avant d’en venir aux mesures de contrôle de la criminalité financière aux niveaux de la prévention et de la répression. Il a donné des indications quant au futur de la politique pénale en Chine et a noté les besoins de coordination et de règlementation plus stricte du secteur financier, ainsi que de l’utilisation des technologies de l’informatique pour sécuriser d’avantage les transactions financières informatisées. [Texte original en chinois.Traduction française.]

Les présentations suisses ont été données en alternance avec les exposés chinois et après chaque bloc de deux présentations une demi-heure de discussions était prévue, ce qui a permis de constater des similitudes et différences intéressantes entre les deux pays. La professeure Cassani, spécialiste en droit pénal économique, a donné une introduction au système juridique suisse en général et plus particulièrement au droit pénal suisse dans le contexte européen et mondial, avant de présenter plus en détail l’évolution et l’état actuel du droit pénal suisse en matière de criminalité économique et financière. Elle a mis l’accent sur les développements récents dans la lutte contre le blanchiment d’argent et la corruption, en abordant aussi brièvement les délits d’initiés et la responsabilité pénale des entreprises. Sa présentation s’est terminée par une mise en contexte qui a montré que la criminalité financière occupe une place plutôt marginale par rapport l’ensemble des condamnations pénales en Suisse, mais dont la prévention et répression requiert un effort considérable de la part des autorités législatives, administratives et judiciaires à cause des mêmes difficultés qui se présentent aussi en Chine. Le professeur Bovet, qui est aussi l’ancien vice-président de la Commission fédérale de la communication – le régulateur suisse du marché des télécommunications, et le procureur Mascotto, qui s’occupe des crimes financiers complexes au Ministère public du Canton de Genève, ont présenté ensemble le cadre légal et la mise en œuvre de la surveillance des télécommunications par les autorités en cas de poursuite pénale, en soulignant les obstacles légaux, techniques, linguistiques et financiers considérables. Concernant ce dernier point, la discussion a montré qu’en Chine les fournisseurs de services de télécommunication n’ont pas droit à une indemnisation alors qu’en Suisse le Conseil fédéral a fixé des émoluments précis pour chaque type de prestation (liste d’appels entrants et sortants, endroit d’appel, écoute, etc.) qui sont trop élevés du point de vue des procureurs. Pour ma part, j’ai présenté une analyse comparative de la structure législative des codes pénaux suisse et chinois en la matière, ainsi qu’une comparaison du texte légal de deux infractions financières et économiques typiques, la contrefaçon de la monnaie et l’abus de cartes de crédit, qui sont explicitement criminalisées dans les deux pays, mais dont l’importance pratique est moindre en Suisse qu’en Chine. À titre de comparaison, j’ai analysé le traitement juridique du «skimming» – un nouveau type d’activité criminelle très répandu dans les deux pays qui implique la copie des données d’une carte bancaire à travers des bancomats manipulés pour ensuite retirer tout l’argent avec une carte contrefaite. En Chine, cette activité est criminalisée de façon explicite et très détaillée depuis l’amendement de 2005 (aux art. 177 et 196 CPC), alors qu’en Suisse, elle tombe sous le coup de dispositions pénales plus larges comme l’article 143 CPS «Soustraction de données» et l’article 147 CPS «Utilisation frauduleuse d’un ordinateur» (introduites en 1995).

Ce qui m’a personnellement paru intéressant dans cet exercice de comparaison entre le droit pénal chinois et le droit pénal suisse est que l’adoption d’un code pénal avec une certaine logique interne dans la structure et catégorisation des comportements criminels  détermine la conceptualisation de ces comportements jusqu’à une prochaine révision complète.  Dans le cas de la Suisse, cela peut prendre des dizaines d’années, alors qu’en Chine, vu les réformes depuis la fin des années 1970, le rythme est un peu plus rapide. Entre-temps, des articles individuels sont modifiés ou ajoutés, mais la systématique de l’ensemble ne change pas. Autrement dit, les théories acceptées à un moment historique donné influencent fortement l’évolution future du droit et de la politique respective, en Suisse comme en Chine. Cela est certainement lié au fait que les personnes qui font les choix initiaux sont normalement des juristes éminents, dont l’autorité est rarement remise en question par leurs successeurs tant que le système politique dominant reste en place. Un exemple dans le cas de la Chine est la conception de l’unité du droit pénal qui implique de concentrer dans le code pénal les infractions détaillées de tous les domaines du droit. En Suisse, par contre, la validité et l’utilité des dispositions pénales intégrées dans de nombreuses lois fédérales non pénales à la base, par exemple en matière de droit économique et financier, ne sont pas contestées et ont l’avantage que les notions qui y sont utilisées sont directement définies dans ces lois, ce qui n’est pas le cas du code pénal chinois.

Les échanges qui ont eu lieu durant le séminaire ont montré que les défis et tendances sont similaires dans les deux pays, vue la mondialisation des marchés financiers et des activités criminelles y relatives. Des technologies de plus en plus sophistiquées sont utilisées dans la réalisation des crimes et dans leur détection, ce qui requiert un haut degré de professionnalisation des deux côtés. De même, les mesures de sécurité des institutions financières sont essentielles dans la prévention des infractions. Par exemple, le choix du type de bancomat, de carte bancaire, et d’accès e-banking influence directement l’évolution de la criminalité correspondante.

Pour ces raisons, la coopération entre les acteurs de la justice pénale et les institutions financières au niveau national et international devient de plus en plus importante pour la prévention, la détection et la répression de la criminalité financière. La différence entre la Chine et la Suisse est surtout une différence d’échelle, en plus d’une différence au niveau du contrôle local qui est plus développé en Suisse, peut-être en partie du fait que la Chine n’est pas un Etat fédéral contrairement à tous les autres Etats de taille comparable (Russie, Inde, Etats-Unis, Brésil, Mexique…). Pour donner un exemple, en Suisse, il serait difficile d’ouvrir une banque sans autorisation valable, de récolter des fonds illégalement et puis de disparaître d’un jour à l’autre, car la petite taille des villes suisses rend le contrôle social relativement efficace, en plus de la situation du développement économique actuel dans un paysage commercial assez stable.

À la fin de la rencontre, un début de comparaison des procédures de travail d’un procureur à Pékin (le professeur Xiao a travaillé comme procureur en Chine par le passé) et à Genève (le procureur Mascotto) a révélé des différences intéressantes au niveau du pouvoir du parquet, ainsi que dans le processus de la prise de décision. On a noté par exemple le fait que les procureurs sont élus par le peuple dans le Canton de Genève, ce qui n’est pas le cas en Chine, et que les structures hiérarchiques traditionnelles influencent fortement les processus de prises de décision de l’administration judiciaire en Chine. Les intervenants se sont entendus pour reprendre ces aspects lors d’une prochaine rencontre.

KUNZ, Martina. « Le droit pénal face à la criminalité économique et financière en Chine et en Suisse ». In Blog Scientifique de l’Institut Confucius, Université de Genève. Lien permanent: https://ic.unige.ch/?p=60, consulté le 04/28/2024.

Cette contribution a été relue par Christian Bovet et Ursula Cassani.[:en]Martina Kunz  

Les 23 et 24 août 2012, l’Institut Confucius a accueilli des juristes chinois et suisses dans le cadre d’un séminaire consacré à la criminalité financière et économique dans les deux pays. À cette occasion, le professeur Xiao Zhonghua, professeur de droit pénal et vice-secrétaire du comité du parti de la Faculté de droit de l’Université Renmin, M. Wang Haiqiao, Maître de conférences à la North China University of Technology et chercheur à l’Université Renmin, et une doctorante du professeur Xiao, Mme Xu Fan, qui est sur le point d’achever une thèse de doctorat traitant de la criminalité financière en Chine, se sont rendus à Genève. Du côté suisse, la vice-doyenne de la Faculté de droit de l’Université de Genève et professeure en droit pénal Ursula Cassani, l’ancien doyen et professeur en droit financier et économique Christian Bovet, un procureur du Canton de Genève, Claudio Mascotto, ainsi que l’auteure de ce compte-rendu, doctorante et assistante en droit international à l’Institut des Hautes Etudes Internationales et du Développement, ont proposé une perspective helvétique.

À la demande de l’Institut Confucius, je présente ici brièvement une synthèse de l’évènement ainsi que quelques points qu’il me paraît intéressant de relever. Comme il s’agit d’un compte rendu « côté suisse », je me concentre sur la perspective que ces deux journées nous apportent sur la Chine.

Dès la préparation du séminaire, et notamment dans la phase de sélection des thématiques à discuter, des différences considérables dans les systèmes et notions juridiques respectifs se sont peu à peu dévoilées. Pour les juristes chinois, l’expression 金融犯罪 (jinróng fànzuì) «crimes financiers» ou «criminalité financière» se réfère à un ensemble d’infractions pénales bien défini aux articles 170 à 200 du Code pénal chinois (CPC), alors que pour les juristes suisses, ce n’est qu’un terme relativement général s’appliquant surtout à des activités criminelles régies par le droit boursier et bancaire, mais qui ne jouit pas d’une définition légale. Par ailleurs, le mot «crime» ne vise que les infractions graves en Suisse, passibles d’une peine privative de liberté de plus de trois ans selon l’article 10 alinéa 2 du Code pénal suisse (CPS), alors que  le terme d’«infraction» permet d’évoquer un sens plus large. En Chine, la notion 犯罪 (fànzuì) est utilisée pour tous les types d’infraction, sans distinction en fonction de leur gravité. Le contenu sémantique des concepts utilisés dépend du système juridique auquel ils appartiennent. Par conséquent, on ne peut pas comparer une partie sans égard au tout, c’est-à-dire qu’il faut toujours considérer les concepts dans leur contexte.

Heureusement, grâce aux efforts d’encadrement constant et de traduction de l’équipe de l’Institut Confucius, les obstacles linguistiques, systémiques et culturels ont pu être franchis, et la rencontre a eu lieu dans de très bonnes conditions. Je présente ici succinctement le contenu des interventions du côté chinois à l’intention des personnes qui n’ont pas pu participer à la rencontre. À noter également que les présentations en chinois ainsi que des traductions françaises sont disponibles dans leur entièreté à la fin de ce compte rendu.

Le professeur Xiao, également vice-directeur du Centre de recherche des sciences juridiques pénales de l’Université Renmin et directeur de l’Unité de recherche en matière de droit pénal financier, a présenté un historique de la législation en matière de droit pénal financier. Celle-ci a véritablement démarré en 1997 avec la révision complète du code pénal chinois (datant de 1979), et a ensuite encore été complétée et ajustée lors des huit amendements du code pénal qui ont suivi. Le professeur a expliqué les différentes techniques législatives adoptées, et les opinions divergentes quant à ces choix, avant de passer à un bref état des lieux de la justice pénale en matière financière et aux difficultés les plus saillantes du système dans le contexte de la mondialisation des marchés financiers à l’ère du net. Il a terminé en faisant part de ses réflexions au sujet des succès et défaillances de la Chine en matière de lutte contre la criminalité financière tout en présentant des pistes d’amélioration de celle-là aux niveaux de l’économie, de l’administration publique et du droit. [Texte original en chinois. Traduction française.]

Mme Xu Fan, doctorante du professeur Xiao, a poursuivi en développant les caractéristiques concrètes ainsi que les tendances actuelles de la criminalité financière en Chine. Elle a présenté les enjeux que posent l’augmentation drastique du nombre des cas et des montants impliqués, ainsi que l’utilisation de plus en plus répandue des nouvelles technologies telles que l’informatique et les réseaux. Elle a ensuite relevé les problèmes de complicité entre des personnes travaillant dans des institutions financières et des criminels à l’extérieur de celles-ci, la prévalence toujours prépondérante des infractions en rapport avec des cartes bancaires et des récoltes de fonds illégales, alors que les faux dans les titres financiers et le blanchiment d’argent gagnent également en importance. Les activités croissantes des criminels étrangers en Chine semblent être en lien avec une tendance générale à l’internationalisation de la criminalité financière. Mme Xu a souligné que ces développements constituent un défi majeur pour la justice pénale chinoise vu le caractère complexe et très technique des méthodes utilisées par les criminels, ce qui requiert un haut degré de spécialisation des enquêteurs. [Texte original en chinois. Traduction française.]

Le professeur Wang, pour sa part, a mis l’accent sur le lien entre l’informatisation du secteur financier et la criminalité financière. Il a attiré d’emblée l’attention sur le fait que l’établissement de la société de l’information est une stratégie nationale du gouvernement chinois et que la criminalité qui l’accompagne actuellement ne doit pas constituer un frein à ce développement, malgré les dégâts importants qu’elle cause. Il a présenté l’évolution des stratégies gouvernementales et du processus d’informatisation de la finance en Chine ainsi que les types d’activités criminelles correspondantes avant d’en venir aux mesures de contrôle de la criminalité financière aux niveaux de la prévention et de la répression. Il a donné des indications quant au futur de la politique pénale en Chine et a noté les besoins de coordination et de règlementation plus stricte du secteur financier, ainsi que de l’utilisation des technologies de l’informatique pour sécuriser d’avantage les transactions financières informatisées. [Texte original en chinois.Traduction française.]

Les présentations suisses ont été données en alternance avec les exposés chinois et après chaque bloc de deux présentations une demi-heure de discussions était prévue, ce qui a permis de constater des similitudes et différences intéressantes entre les deux pays. La professeure Cassani, spécialiste en droit pénal économique, a donné une introduction au système juridique suisse en général et plus particulièrement au droit pénal suisse dans le contexte européen et mondial, avant de présenter plus en détail l’évolution et l’état actuel du droit pénal suisse en matière de criminalité économique et financière. Elle a mis l’accent sur les développements récents dans la lutte contre le blanchiment d’argent et la corruption, en abordant aussi brièvement les délits d’initiés et la responsabilité pénale des entreprises. Sa présentation s’est terminée par une mise en contexte qui a montré que la criminalité financière occupe une place plutôt marginale par rapport l’ensemble des condamnations pénales en Suisse, mais dont la prévention et répression requiert un effort considérable de la part des autorités législatives, administratives et judiciaires à cause des mêmes difficultés qui se présentent aussi en Chine. Le professeur Bovet, qui est aussi l’ancien vice-président de la Commission fédérale de la communication – le régulateur suisse du marché des télécommunications, et le procureur Mascotto, qui s’occupe des crimes financiers complexes au Ministère public du Canton de Genève, ont présenté ensemble le cadre légal et la mise en œuvre de la surveillance des télécommunications par les autorités en cas de poursuite pénale, en soulignant les obstacles légaux, techniques, linguistiques et financiers considérables. Concernant ce dernier point, la discussion a montré qu’en Chine les fournisseurs de services de télécommunication n’ont pas droit à une indemnisation alors qu’en Suisse le Conseil fédéral a fixé des émoluments précis pour chaque type de prestation (liste d’appels entrants et sortants, endroit d’appel, écoute, etc.) qui sont trop élevés du point de vue des procureurs. Pour ma part, j’ai présenté une analyse comparative de la structure législative des codes pénaux suisse et chinois en la matière, ainsi qu’une comparaison du texte légal de deux infractions financières et économiques typiques, la contrefaçon de la monnaie et l’abus de cartes de crédit, qui sont explicitement criminalisées dans les deux pays, mais dont l’importance pratique est moindre en Suisse qu’en Chine. À titre de comparaison, j’ai analysé le traitement juridique du «skimming» – un nouveau type d’activité criminelle très répandu dans les deux pays qui implique la copie des données d’une carte bancaire à travers des bancomats manipulés pour ensuite retirer tout l’argent avec une carte contrefaite. En Chine, cette activité est criminalisée de façon explicite et très détaillée depuis l’amendement de 2005 (aux art. 177 et 196 CPC), alors qu’en Suisse, elle tombe sous le coup de dispositions pénales plus larges comme l’article 143 CPS «Soustraction de données» et l’article 147 CPS «Utilisation frauduleuse d’un ordinateur» (introduites en 1995).

Ce qui m’a personnellement paru intéressant dans cet exercice de comparaison entre le droit pénal chinois et le droit pénal suisse est que l’adoption d’un code pénal avec une certaine logique interne dans la structure et catégorisation des comportements criminels  détermine la conceptualisation de ces comportements jusqu’à une prochaine révision complète.  Dans le cas de la Suisse, cela peut prendre des dizaines d’années, alors qu’en Chine, vu les réformes depuis la fin des années 1970, le rythme est un peu plus rapide. Entre-temps, des articles individuels sont modifiés ou ajoutés, mais la systématique de l’ensemble ne change pas. Autrement dit, les théories acceptées à un moment historique donné influencent fortement l’évolution future du droit et de la politique respective, en Suisse comme en Chine. Cela est certainement lié au fait que les personnes qui font les choix initiaux sont normalement des juristes éminents, dont l’autorité est rarement remise en question par leurs successeurs tant que le système politique dominant reste en place. Un exemple dans le cas de la Chine est la conception de l’unité du droit pénal qui implique de concentrer dans le code pénal les infractions détaillées de tous les domaines du droit. En Suisse, par contre, la validité et l’utilité des dispositions pénales intégrées dans de nombreuses lois fédérales non pénales à la base, par exemple en matière de droit économique et financier, ne sont pas contestées et ont l’avantage que les notions qui y sont utilisées sont directement définies dans ces lois, ce qui n’est pas le cas du code pénal chinois.

Les échanges qui ont eu lieu durant le séminaire ont montré que les défis et tendances sont similaires dans les deux pays, vue la mondialisation des marchés financiers et des activités criminelles y relatives. Des technologies de plus en plus sophistiquées sont utilisées dans la réalisation des crimes et dans leur détection, ce qui requiert un haut degré de professionnalisation des deux côtés. De même, les mesures de sécurité des institutions financières sont essentielles dans la prévention des infractions. Par exemple, le choix du type de bancomat, de carte bancaire, et d’accès e-banking influence directement l’évolution de la criminalité correspondante.

Pour ces raisons, la coopération entre les acteurs de la justice pénale et les institutions financières au niveau national et international devient de plus en plus importante pour la prévention, la détection et la répression de la criminalité financière. La différence entre la Chine et la Suisse est surtout une différence d’échelle, en plus d’une différence au niveau du contrôle local qui est plus développé en Suisse, peut-être en partie du fait que la Chine n’est pas un Etat fédéral contrairement à tous les autres Etats de taille comparable (Russie, Inde, Etats-Unis, Brésil, Mexique…). Pour donner un exemple, en Suisse, il serait difficile d’ouvrir une banque sans autorisation valable, de récolter des fonds illégalement et puis de disparaître d’un jour à l’autre, car la petite taille des villes suisses rend le contrôle social relativement efficace, en plus de la situation du développement économique actuel dans un paysage commercial assez stable.

À la fin de la rencontre, un début de comparaison des procédures de travail d’un procureur à Pékin (le professeur Xiao a travaillé comme procureur en Chine par le passé) et à Genève (le procureur Mascotto) a révélé des différences intéressantes au niveau du pouvoir du parquet, ainsi que dans le processus de la prise de décision. On a noté par exemple le fait que les procureurs sont élus par le peuple dans le Canton de Genève, ce qui n’est pas le cas en Chine, et que les structures hiérarchiques traditionnelles influencent fortement les processus de prises de décision de l’administration judiciaire en Chine. Les intervenants se sont entendus pour reprendre ces aspects lors d’une prochaine rencontre.

KUNZ, Martina. « Le droit pénal face à la criminalité économique et financière en Chine et en Suisse ». In Blog Scientifique de l’Institut Confucius, Université de Genève. Lien permanent: https://ic.unige.ch/?p=60, consulté le 04/28/2024.

Cette contribution a été relue par Christian Bovet et Ursula Cassani.[:]