1978-2012: Réformes des Institutions en République Populaire de Chine

[:fr]Basile Zimmermann

Les 27 et 28 mars 2013, le Département de sociologie et l’Institut Confucius de l’université de Genève ont accueilli LI Lulu, professeur à l’université Renmin, pour deux journées de discussion et d’échange consacrées aux réformes des institutions en République Populaire de Chine de 1978 à 2013. Suivant l’usage pour le blog scientifique de l’Institut, je résume ici les éléments évoqués à cette occasion en me concentrant sur la perspective du professeur Li, et ce qu’elle nous apprend sur la Chine.

Durant la conférence publique du 27 mars, LI Lulu a partagé son expérience personnelle en Chine. Il s’agissait d’un premier évènement Parcours de vie, dont l’Institut Confucius débute une série cette année. Le professeur Li a expliqué comment, dans les années soixante, à l’âge de seize ans, il a dû quitter l’école obligatoire, et travailler comme ouvrier. A cette période, la RPC traversait une de ses crises les plus graves, connue sous le nom de “Révolution Culturelle”, où les universités chinoises ont été fermées pendant près de dix ans, et les étudiants ainsi que leurs professeurs envoyés dans les usines et dans les campagnes. LI Lulu a souligné l’impact négatif de la Révolution Culturelle sur le pays, qui a pénalisé une génération entière d’intellectuels. Il a noté avec humour que, pour un sociologue, il y avait tout de même des aspects positifs. Aujourd’hui, les nombreuses personnes qui, comme lui, ont partagé la vie des couches sociales les moins favorisées, sont à même de mieux les comprendre; ce savoir est particulièrement précieux pour les spécialistes de sciences sociales.

La réouverture des universités, en 1977-78, a été un moment fort où la Chine a récupéré toute une génération d’intellectuels en un laps de temps réduit. De part la fermeture des structures d’éducation qui l’avait précédée, cette étape a été caractérisée par une sélection drastique des individus, car seule une petite portion pouvait accéder à l’enseignement universitaire. LI Lulu a ensuite discuté des caractéristiques “en mouvement” de la société chinoise de 1978 à nos jours. D’après lui, si l’organisation de la société durant la période 1950 à 1978 est claire pour les sociologues, celle qui a suivi la phase de réformes et d’ouverture de 1978 est opaque. Durant les échanges avec les étudiants, il a évoqué le processus de changement des structures politiques et de gestion du pays. Selon lui, le point-clé de la politique chinoise est de trouver la bonne méthode pour que les intérêts des différents groupes de personnes soient représentés de manière adéquate dans le système. Aujourd’hui, la Chine est passée d’une structure centralisée à une structure décentralisée, mais si l’ancien système est progressivement dissous, le système qui doit le remplacer n’est pas encore défini.

Le 28 mars, durant l’atelier de sociologie des organisations à la villa Rive-belle, et notamment la table ronde avec la professeure Mathilde Bourrier, LI Lulu a abordé des questions plus spécifiques quant à la structure des organisations en République Populaire de Chine. Il s’est concentré sur deux aspects. Tout d’abord, les changements de la période 1978-2012. Ensuite, il a évoqué les questions qui intéressent spécifiquement les sociologues chinois.

Pour comprendre les changements qui ont suivi la politique de reforme et d’ouverture de la RPC, il est nécessaire de s’intéresser dans un premier temps à la structure de la société chinoise durant la période qui a précédé. LI Lulu a évoqué trois aspects: premièrement, la gouvernance du pays par un parti unique, le Parti Communiste Chinois (PCC). Deuxièmement, un système de gouvernance caractérisé par une centralisation du pouvoir, et un contrôle par celui-ci des moyens de production. Troisièmement, une organisation de l’ensemble de la société par le biais du “système d’identité” 身份体制, qui permettait de gérer les accès aux différentes ressources et opportunités, ainsi que l’exercice des pouvoirs.

Le système d’identité consistait en un ensemble de sous-systèmes qui peuvent être regroupés en quatre grandes catégories: le système des classes (阶级), le système de résidence (户籍), le système des cadres (干部), et enfin, celui des unités de travail (单位). L’ensemble permettait de diviser la société en groupes, et constituait une des particularités de la société chinoise à cette période. Voici, en quelques mots, ses spécificités.

– Le système des classes était d’inspiration marxiste. Il était utilisé en Chine comme un concept de base, de nature politique, qui jouait un rôle fondamental dans l’organisation de la société;

– Le système de résidence était basé sur le lieu d’habitation des individus, ainsi que leur activité professionnelle. Il divisait le pays en deux grands groupes: les résidents de zones urbaine, et les résidents de zone rurale. Via cette qualification, les individus avaient accès à des institutions différentes, qui elle-mêmes géraient la distribution des ressources tels que les écoles, les hôpitaux, l’emploi, etc.;

– Le système des cadres s’inspirait de la division classique col blanc versus col bleu. Cette configuration n’est pas spécifique à un système socialiste, et se retrouve dans beaucoup d’autres sociétés. Une différence notable, toutefois, était qu’en Chine, à cette période, le statut de cadre était régulé par l’Etat suivant un processus top-down;

– Le système des unités de travail peut être vu comme une spécificité chinoise. Dans les grandes lignes, il consistait en une division de l’ensemble des structures organisationnelles du pays. En Chine, à cette période, toutes les organisations (usines, entreprises, écoles, universités, hôpitaux, etc.) appartenaient à l’Etat. L’ensemble du pays était divisé en unités de travail, et tous les membres de la société chinoise étaient membres d’une unité de travail. Autrement dit, le système des unités de travail permettait de gérer la totalité du pays. L’Etat ne possédait aucune ressource directement, celles-ci étaient gérées par les unités de travail, qui géraient leurs membres.

Une conséquence spécifique de ce système, qu’il est important de noter, est que l’individu en tant que tel n’était pas essentiel; l’unité de travail était essentielle.

Ainsi, pendant une période de trente années environ, la gestion politique et économique du pays s’est faite via le système d’identité. Cette structure de société, gérée par les systèmes de classes, de résidence, de cadres, et d’unités de travail, était inégalitaire mais sa particularité était que les inégalités étaient contrôlées par l’Etat.

La politique de réforme et d’ouverture, initiée par le Parti communiste, a débuté en 1978. Celle-ci, du point de vue du professeur LI, consistait surtout en un changement du système économique, qui se dirigeait désormais vers une économie de marché. Toutefois, par son intermédiaire, le changement a touché également les sphères politiques et sociales, et via celles-ci, d’autres structures de la société chinoise. D’un point de vue macroscopique, on peut dire que la Chine a fait subir à son système centralisé, géré à haut niveau, une sorte d’assouplissement progressif. On est passé d’un système fixe à un système en mouvement, et d’un système fermé à un système ouvert.
Dans ce contexte, les catégories décrites ci-dessus ont subi des modifications. Dans les grandes lignes, on peut dire que le système de classes a aujourd’hui complètement disparu. Le système de résidence est toujours en place, mais il s’est beaucoup assoupli. Cela s’observe dans les migrations de la population chinoise à l’intérieur du pays, où l’on a vu 200 millions de personnes passer des zones rurales aux zones urbaines. Le système col blanc versus col bleu a également disparu. Du côté des unités de travail, aujourd’hui 95% des organisations n’appartiennent plus à l’Etat, et, contrairement aux pratiques du passé, beaucoup d’entre elles n’accueillent plus de représentants officiels du Parti communiste. L’ensemble des services, y compris la gestion des ressources, est désormais géré par un système d’économie de marché.

Pour résumer, on observe actuellement un changement où la gestion de la société chinoise passe du système d’identité à un autre système. Mais quel autre système? La situation n’est pas très claire. En ce moment, les sociologues chinois ont des difficultés à comprendre ce qui se passe, et il manque des systèmes d’analyse pour répondre aux questions que tout le monde se pose. Le sentiment général, tant du côté des spécialistes chinois que celui des spécialistes étrangers, est que la situation en Chine est particulièrement en désordre.

Le professeur Li a conclu en présentant les questions principales qui préoccupent les sociologues chinois aujourd’hui:

1. Les questions d’inégalités en matière de richesse. Actuellement, la RPC est un des pays les plus inégalitaires au monde, avec un coefficient de Gini de 0.47 à 0.48. Beaucoup se demandent comment se fait-il que le pays n’ait pas encore explosé avec un système aussi inégalitaire. Certains mettent la situation en lien avec l’aspect transformatif de la société chinoise, et pensent qu’il s’agit d’un processus destiné à s’inverser à un certain moment. Dans un premier temps, les inégalités augmentent, puis passé un certain cap, elles vont revenir à un niveau plus acceptable. Des questions qui provoquent des débats parmi les spécialistes sont de savoir si oui ou non une pareille évolution aura lieu, et, si oui, si la Chine sera capable de passer ce cap sans conflit majeur.

2. Depuis 1978, le système d’identité a été dissous. La structure de la société qui gérait l’accès aux avantages matériels a disparu. Par quel système faut-il la remplacer? Certains sociologues évoquent un nouveau système de classes (le professeur LI Lulu fait partie de ceux-là), d’autres parlent d’un système fragmenté. Tout cela donne lieu à de nombreux débats.

3. Comment fonctionnent les organisations aujourd’hui en Chine? Il y a une sorte de trou noir pour les sociologues chinois, qui ne savent pas comment ces structures sont organisées actuellement, et auxquels elles refusent la plupart du temps le droit de venir observer leurs activités. Le système des unités de travail a disparu, mais les sociologues chinois ne comprennent pas comment les entreprises, les usines, les écoles, les hôpitaux, fonctionnent en ce moment. La structure de l’ancien système d’avant 1978 est claire, mais celle du nouveau système ne l’est pas. Actuellement, les efforts se concentrent sur a) les institutions appartenant à l’Etat et b) les usines et les entreprises. Un objectif des sociologues en Chine est de comprendre comment les actions y sont organisées.

4. La question des migrants. Aujourd’hui, le système de résidence est toujours en place, mais il est devenu flexible. Deux cents millions de personnes se sont déjà déplacées. Comment résoudre ce problème? Faut-il les convaincre de retourner à la campagne? Ou de rester en zone urbaine? Actuellement, la tendance est de pencher plutôt pour la deuxième solution. On s’attend aussi à voir le phénomène se poursuivre, avec un nouveau déplacement de cent à deux cents millions de personnes.

Durant la séance de questions ouvertes qui a clos la table ronde, interrogé sur la spécificité chinoise par rapport aux autres pays asiatiques, et sa confiance ou non dans l’avenir, LI Lulu a souligné la part de l’héritage socialiste, qui différencie la Chine de la Corée et du Japon. Il a évoqué le succès historique de l’Empire chinois, qui conserve sa forme depuis le troisième siècle avant J-C., ainsi que la période très difficile de cent cinquante années, depuis le milieu du 19ème jusqu’à aujourd’hui. Pour lui, les forces de la Chine sont son espoir de redevenir un grand pays, source de motivation importante, ainsi que son histoire marquée par une grande population et des difficultés constantes, qui font que les individus ont l’habitude d’être confrontés à des obstacles.

ZIMMERMANN, Basile. « 1978-2012: Réformes des Institutions en République Populaire de Chine ». In Blog Scientifique de l’Institut Confucius, Université de Genève. Lien permanent: https://ic.unige.ch/?p=281, consulté le 04/26/2024.

Cette contribution a été relue par Mathilde Bourrier.

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Les 27 et 28 mars 2013, le Département de sociologie et l’Institut Confucius de l’université de Genève ont accueilli LI Lulu, professeur à l’université Renmin, pour deux journées de discussion et d’échange consacrées aux réformes des institutions en République Populaire de Chine de 1978 à 2013. Suivant l’usage pour le blog scientifique de l’Institut, je résume ici les éléments évoqués à cette occasion en me concentrant sur la perspective du professeur Li, et ce qu’elle nous apprend sur la Chine.

Durant la conférence publique du 27 mars, LI Lulu a partagé son expérience personnelle en Chine. Il s’agissait d’un premier évènement Parcours de vie, dont l’Institut Confucius débute une série cette année. Le professeur Li a expliqué comment, dans les années soixante, à l’âge de seize ans, il a dû quitter l’école obligatoire, et travailler comme ouvrier. A cette période, la RPC traversait une de ses crises les plus graves, connue sous le nom de “Révolution Culturelle”, où les universités chinoises ont été fermées pendant près de dix ans, et les étudiants ainsi que leurs professeurs envoyés dans les usines et dans les campagnes. LI Lulu a souligné l’impact négatif de la Révolution Culturelle sur le pays, qui a pénalisé une génération entière d’intellectuels. Il a noté avec humour que, pour un sociologue, il y avait tout de même des aspects positifs. Aujourd’hui, les nombreuses personnes qui, comme lui, ont partagé la vie des couches sociales les moins favorisées, sont à même de mieux les comprendre; ce savoir est particulièrement précieux pour les spécialistes de sciences sociales.

La réouverture des universités, en 1977-78, a été un moment fort où la Chine a récupéré toute une génération d’intellectuels en un laps de temps réduit. De part la fermeture des structures d’éducation qui l’avait précédée, cette étape a été caractérisée par une sélection drastique des individus, car seule une petite portion pouvait accéder à l’enseignement universitaire. LI Lulu a ensuite discuté des caractéristiques “en mouvement” de la société chinoise de 1978 à nos jours. D’après lui, si l’organisation de la société durant la période 1950 à 1978 est claire pour les sociologues, celle qui a suivi la phase de réformes et d’ouverture de 1978 est opaque. Durant les échanges avec les étudiants, il a évoqué le processus de changement des structures politiques et de gestion du pays. Selon lui, le point-clé de la politique chinoise est de trouver la bonne méthode pour que les intérêts des différents groupes de personnes soient représentés de manière adéquate dans le système. Aujourd’hui, la Chine est passée d’une structure centralisée à une structure décentralisée, mais si l’ancien système est progressivement dissous, le système qui doit le remplacer n’est pas encore défini.

Le 28 mars, durant l’atelier de sociologie des organisations à la villa Rive-belle, et notamment la table ronde avec la professeure Mathilde Bourrier, LI Lulu a abordé des questions plus spécifiques quant à la structure des organisations en République Populaire de Chine. Il s’est concentré sur deux aspects. Tout d’abord, les changements de la période 1978-2012. Ensuite, il a évoqué les questions qui intéressent spécifiquement les sociologues chinois.

Pour comprendre les changements qui ont suivi la politique de reforme et d’ouverture de la RPC, il est nécessaire de s’intéresser dans un premier temps à la structure de la société chinoise durant la période qui a précédé. LI Lulu a évoqué trois aspects: premièrement, la gouvernance du pays par un parti unique, le Parti Communiste Chinois (PCC). Deuxièmement, un système de gouvernance caractérisé par une centralisation du pouvoir, et un contrôle par celui-ci des moyens de production. Troisièmement, une organisation de l’ensemble de la société par le biais du “système d’identité” 身份体制, qui permettait de gérer les accès aux différentes ressources et opportunités, ainsi que l’exercice des pouvoirs.

Le système d’identité consistait en un ensemble de sous-systèmes qui peuvent être regroupés en quatre grandes catégories: le système des classes (阶级), le système de résidence (户籍), le système des cadres (干部), et enfin, celui des unités de travail (单位). L’ensemble permettait de diviser la société en groupes, et constituait une des particularités de la société chinoise à cette période. Voici, en quelques mots, ses spécificités.

– Le système des classes était d’inspiration marxiste. Il était utilisé en Chine comme un concept de base, de nature politique, qui jouait un rôle fondamental dans l’organisation de la société;

– Le système de résidence était basé sur le lieu d’habitation des individus, ainsi que leur activité professionnelle. Il divisait le pays en deux grands groupes: les résidents de zones urbaine, et les résidents de zone rurale. Via cette qualification, les individus avaient accès à des institutions différentes, qui elle-mêmes géraient la distribution des ressources tels que les écoles, les hôpitaux, l’emploi, etc.;

– Le système des cadres s’inspirait de la division classique col blanc versus col bleu. Cette configuration n’est pas spécifique à un système socialiste, et se retrouve dans beaucoup d’autres sociétés. Une différence notable, toutefois, était qu’en Chine, à cette période, le statut de cadre était régulé par l’Etat suivant un processus top-down;

– Le système des unités de travail peut être vu comme une spécificité chinoise. Dans les grandes lignes, il consistait en une division de l’ensemble des structures organisationnelles du pays. En Chine, à cette période, toutes les organisations (usines, entreprises, écoles, universités, hôpitaux, etc.) appartenaient à l’Etat. L’ensemble du pays était divisé en unités de travail, et tous les membres de la société chinoise étaient membres d’une unité de travail. Autrement dit, le système des unités de travail permettait de gérer la totalité du pays. L’Etat ne possédait aucune ressource directement, celles-ci étaient gérées par les unités de travail, qui géraient leurs membres.

Une conséquence spécifique de ce système, qu’il est important de noter, est que l’individu en tant que tel n’était pas essentiel; l’unité de travail était essentielle.

Ainsi, pendant une période de trente années environ, la gestion politique et économique du pays s’est faite via le système d’identité. Cette structure de société, gérée par les systèmes de classes, de résidence, de cadres, et d’unités de travail, était inégalitaire mais sa particularité était que les inégalités étaient contrôlées par l’Etat.

La politique de réforme et d’ouverture, initiée par le Parti communiste, a débuté en 1978. Celle-ci, du point de vue du professeur LI, consistait surtout en un changement du système économique, qui se dirigeait désormais vers une économie de marché. Toutefois, par son intermédiaire, le changement a touché également les sphères politiques et sociales, et via celles-ci, d’autres structures de la société chinoise. D’un point de vue macroscopique, on peut dire que la Chine a fait subir à son système centralisé, géré à haut niveau, une sorte d’assouplissement progressif. On est passé d’un système fixe à un système en mouvement, et d’un système fermé à un système ouvert.
Dans ce contexte, les catégories décrites ci-dessus ont subi des modifications. Dans les grandes lignes, on peut dire que le système de classes a aujourd’hui complètement disparu. Le système de résidence est toujours en place, mais il s’est beaucoup assoupli. Cela s’observe dans les migrations de la population chinoise à l’intérieur du pays, où l’on a vu 200 millions de personnes passer des zones rurales aux zones urbaines. Le système col blanc versus col bleu a également disparu. Du côté des unités de travail, aujourd’hui 95% des organisations n’appartiennent plus à l’Etat, et, contrairement aux pratiques du passé, beaucoup d’entre elles n’accueillent plus de représentants officiels du Parti communiste. L’ensemble des services, y compris la gestion des ressources, est désormais géré par un système d’économie de marché.

Pour résumer, on observe actuellement un changement où la gestion de la société chinoise passe du système d’identité à un autre système. Mais quel autre système? La situation n’est pas très claire. En ce moment, les sociologues chinois ont des difficultés à comprendre ce qui se passe, et il manque des systèmes d’analyse pour répondre aux questions que tout le monde se pose. Le sentiment général, tant du côté des spécialistes chinois que celui des spécialistes étrangers, est que la situation en Chine est particulièrement en désordre.

Le professeur Li a conclu en présentant les questions principales qui préoccupent les sociologues chinois aujourd’hui:

1. Les questions d’inégalités en matière de richesse. Actuellement, la RPC est un des pays les plus inégalitaires au monde, avec un coefficient de Gini de 0.47 à 0.48. Beaucoup se demandent comment se fait-il que le pays n’ait pas encore explosé avec un système aussi inégalitaire. Certains mettent la situation en lien avec l’aspect transformatif de la société chinoise, et pensent qu’il s’agit d’un processus destiné à s’inverser à un certain moment. Dans un premier temps, les inégalités augmentent, puis passé un certain cap, elles vont revenir à un niveau plus acceptable. Des questions qui provoquent des débats parmi les spécialistes sont de savoir si oui ou non une pareille évolution aura lieu, et, si oui, si la Chine sera capable de passer ce cap sans conflit majeur.

2. Depuis 1978, le système d’identité a été dissous. La structure de la société qui gérait l’accès aux avantages matériels a disparu. Par quel système faut-il la remplacer? Certains sociologues évoquent un nouveau système de classes (le professeur LI Lulu fait partie de ceux-là), d’autres parlent d’un système fragmenté. Tout cela donne lieu à de nombreux débats.

3. Comment fonctionnent les organisations aujourd’hui en Chine? Il y a une sorte de trou noir pour les sociologues chinois, qui ne savent pas comment ces structures sont organisées actuellement, et auxquels elles refusent la plupart du temps le droit de venir observer leurs activités. Le système des unités de travail a disparu, mais les sociologues chinois ne comprennent pas comment les entreprises, les usines, les écoles, les hôpitaux, fonctionnent en ce moment. La structure de l’ancien système d’avant 1978 est claire, mais celle du nouveau système ne l’est pas. Actuellement, les efforts se concentrent sur a) les institutions appartenant à l’Etat et b) les usines et les entreprises. Un objectif des sociologues en Chine est de comprendre comment les actions y sont organisées.

4. La question des migrants. Aujourd’hui, le système de résidence est toujours en place, mais il est devenu flexible. Deux cents millions de personnes se sont déjà déplacées. Comment résoudre ce problème? Faut-il les convaincre de retourner à la campagne? Ou de rester en zone urbaine? Actuellement, la tendance est de pencher plutôt pour la deuxième solution. On s’attend aussi à voir le phénomène se poursuivre, avec un nouveau déplacement de cent à deux cents millions de personnes.

Durant la séance de questions ouvertes qui a clos la table ronde, interrogé sur la spécificité chinoise par rapport aux autres pays asiatiques, et sa confiance ou non dans l’avenir, LI Lulu a souligné la part de l’héritage socialiste, qui différencie la Chine de la Corée et du Japon. Il a évoqué le succès historique de l’Empire chinois, qui conserve sa forme depuis le troisième siècle avant J-C., ainsi que la période très difficile de cent cinquante années, depuis le milieu du 19ème jusqu’à aujourd’hui. Pour lui, les forces de la Chine sont son espoir de redevenir un grand pays, source de motivation importante, ainsi que son histoire marquée par une grande population et des difficultés constantes, qui font que les individus ont l’habitude d’être confrontés à des obstacles.

ZIMMERMANN, Basile. « 1978-2012: Réformes des Institutions en République Populaire de Chine ». In Blog Scientifique de l’Institut Confucius, Université de Genève. Lien permanent: https://ic.unige.ch/?p=281, consulté le 04/26/2024.

Cette contribution a été relue par Mathilde Bourrier.

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