Culture, Genre et Globalisation

CHEN Yali

Les 11 et 12 octobre 2018, l’Institut Confucius de l’Université de Genève a eu le plaisir d’accueillir un atelier d’études genre intitulé « Culture, Genre et Globalisation ». Cet évènement a réuni des spécialistes internationaux provenant de Suisse, de France, de Chine, d’Autriche, d’Irlande et de Corée du Sud, issus de différentes disciplines comme la sociologie, l’histoire, les sciences de la communication, la sociologie de la culture et bien sûr, des études genre.

Notre objectif était de s’intéresser aux mécanismes des représentations de genre et à la manière dont les identités qui lui sont associées sont médiatisées et négociées par des moyens culturels dans les processus de globalisation. En effet, les cultures globales et locales ne sont pas uniquement des mécanismes que l’être humain utilise pour donner un sens à sa vie quotidienne, mais également des ressources discursives qui aident à rationaliser son rôle dans la société.

Dans la formation des représentations et des identités de genre, la mondialisation est devenue un phénomène social incontournable. Elle nécessite des recherches à la fois empiriques et critiques. Cet atelier a ainsi été l’occasion de présenter des travaux originaux qui explorent diverses dimensions de cette thématique, et de discuter des différents types d’intersection entre le genre et d’autres représentations identitaires, tels que la race, l’ethnicité ou la migration dans des contextes globaux, nationaux ou culturels spécifiques.

Répartis en quatre sessions intitulées « Masculinity in Cultural Sphere », « Gendering Identities », « Gender Governmentality within public and private contexts » et « Media and Female Images in Global Culture », différents aspects relatifs aux questions de genre, de culture et de globalisation ont ainsi été abordés.

La première session s’est concentrée sur les manifestations de la masculinité dans différents contextes culturels. Alice ATERIANUS-OWANGA, de l’Université de Lausanne, a présenté comment, au travers de la danse sénégalaise Sabar, pratique réservée aux femmes, les danseurs sénégalais élaborent de nouveaux modèles de masculinité en affirmant être de « vrais hommes » qu’ils mettent ensuite en circulation, rejouant par ce biais les rapports de pouvoirs auxquels ils se confrontent. Yuqi GUO de l’Université Tsinghua, a effectué une analyse critique de la représentation de l’homme hétérosexuel à travers différents supports (discours, images, articles et sites internet), sur lesquels la masculinité et la domination sont redéfinies en s’appuyant sur l’image de la femme dans le contexte social et historique de la mondialisation. Dans le contexte des médias chinois, Yan YAN de l’Université College Dublin a présenté une étude d’une série télévisée qui traite de la transformation de l’identité masculine au miroir des transformations sociales survenues en Chine contemporaine. On découvre alors l’évolution de l’image d’un homme, présenté dans un premier temps comme enfantin, impulsif et nostalgique et qui évolue, dans sa recherche identitaire, pour devenir un « vrai homme ».

La deuxième session a été dédiée à la thématique de l’identité de genre dans différents contextes nationaux et internationaux. Yali CHEN de l’Université de Genève a expliqué, en se basant sur les données ethnographiques récoltées sur les femmes migrantes chinoises en Suisse, comment ces dernières parviennent à surmonter le dilemme entre « culture orientale » et « culture occidentale » par un processus d’acculturation afin de créer une nouvelle représentation identitaire. Yijun LI de l’Université de Science et de Technologie Huazhong, a abordé la représentation des femmes tibétaines dans le cinéma chinois depuis 1978. Elle a montré comment la construction de l’imaginaire féminin au Tibet était influencée par ce support médiatique, dans un contexte hybride où se côtoient plusieurs types de discours (politique, ethnique, national et global). Anastasia-Athénaïs PORRET de l’Université Paris Diderot a présenté une analyse des violences physiques et culturelles auxquelles font face les femmes lors leur conversion religieuse, en se basant sur des entretiens qualitatifs en France et en Irlande.

La troisième session s’est concentrée sur les questions de la gouvernementalité de genre dans l’espace public et privé avec des perspectives politiques, sociologiques et historiques différentes. Brigitte FUCHS de l’Université de Vienne a examiné l’histoire de la gouvernance sociale des années 1990 et a émis l’idée que les politiques de justice globale en matière de genre ne pouvaient pas être considérées comme une solution aux problèmes des inégalités de genre, notamment dans les cas de pauvreté. Le chercheur indépendant René Hirsch, quant à lui, a démontré une corrélation entre la façon dont la procréation a été comprise au cours de l’histoire et l’influence que cette dernière a eue sur les rapports de genre et sur les croyances associées, qu’il a conceptualisé en trois phases : la phase primitive, la phase patriarcale et la phase scientifique. Ces trois phases correspondent également aux étapes évolutionnistes du développement de la civilisation humaine. Yichen TAO de l’Université féminine Ewha, a traité du déséquilibre rural/urbain dans le processus de l’urbanisation en Chine, en mettant l’accent sur les problèmes sociaux rencontrés par les enfants laissés dans les campagnes par leurs parents, partis en ville travailler. Elle a mis en évidence l’absence d’éducation sexuelle dans les zones rurales et les potentiels problèmes de violences sexuelles qui en découlent, et a recommandé le développement de stratégies appropriées pour promouvoir l’éducation sexuelle des enfants, en considérant les différents contextes sociaux dont ils sont issus.

Pour finir, la quatrième et dernière session a abordé la construction du féminin dans la société chinoise. Jiang CHANG de l’Université de Tsinghua a discuté du mécanisme de formation de l’identité de genre en s’intéressant à la réception des programmes télévisés européens par le public chinois. À travers l’étude de la série télévisée allemande « Knallerfrauen », il a montré comment les spectatrices y puisent une ressource les aidant à redéfinir leur identité de femme et à être plus puissantes dans la société chinoise actuelle. Hao TIAN, également de l’Université de Tsinghua, a présenté sa recherche sur la construction de la féminité parmi les présentatrices de jeux vidéo. À travers cette fonction, ces jeunes femmes peuvent non seulement gagner de l’argent, mais se retrouvent également érigées en tant que modèles de féminité, belles et attirantes pour le public masculin. Pourtant, cette représentation féminine a complètement été construite pour satisfaire le goût des hommes. Cette présentation a amené une réflexion plus profonde sur l’agentivité des femmes dans la présentation et l’utilisation de leur corps dans l’espace média. Moyu WANG de l’Université de Communication de la Chine, a analysé l’image des femmes dans les publicités chinoises où l’approche genrée est une ressource fréquemment utilisée afin d’attirer l’attention et la sympathie des clients. En mettant l’accent sur la relation entre les stéréotypes féminins, les changements sociaux et les « valeurs chinoises », elle a montré l’évolution de l’image de la femme, incarnée le plus souvent dans sa dimension esthétique, mais qui tend à se diversifier depuis les années 2000.

Les discussions issues de ces deux journées de colloque nous ont amené à une réflexion plus large sur les différences culturelles et les questions de genre dans différents contextes sociaux. Les valeurs attribuées au genre se doivent d’être contextualisées spatialement et géographiquement, car elles sont intrinsèquement liées aux valeurs dites « culturelles ». Cependant, cette perspective tend à se complexifier davantage dans le processus de globalisation : en effet, la question du genre devient alors un outil, un dispositif discursif permettant aux acteurs sociaux de rejeter ou d’intégrer certaines valeurs, et de redéfinir les rapports de domination et de pouvoir, où d’autres facteurs sociaux tels que la classe sociale, l’âge, l’ethnicité entrent en compte.

Cette contribution a été relue par Pascale Bugnon

CHEN Yali. «Culture, Genre et Globalisation». In Blog Scientifique de l’Institut Confucius, Université de Genève. Lien permanent: https://ic.unige.ch/?p=1199 , consulté le 04/20/2024.